1. Ce document est extrait d’un essai resté célèbre de Jean Fourastié : « Les trente glorieuses ». Dans cet ouvrage publié en 1979 par les éditions Fayard, l’ économiste et sociologue français (1907-1990) étudie une période de croissance quasi continue de près de 30 ans. Ceci explique le choix de l’expression qu’il utilise pour désigner cette époque.

Il faut bien comprendre qu’au moment où il fait publier ce titre, le contexte de crise justifie le regard porté par l’auteur sur les origines et les manifestations de la croissance qui précède. L’année 79 est en effet ,celle du second choc pétrolier. La crise dure depuis au moins trois ans .Le premier choc pétrolier qui n’explique pas à lui seul la crise intervient en 1973. Cette crise se manifeste par un ralentissement de la production en France (En 1979, le taux de croissance est de 3.2% contre 5.8% au début des années 70) , une augmentation du chômage ( 1 600 000 chômeurs en 1981 contre900 000 chômeurs en 1975 ) et une inflation qui atteint les 13.6 % en 1980. Dans cet extrait, Jean Fourastié présente les transformations matérielles et sociales que connaît la société française entre 1950 et 1970.


2. Les transformations intervenues en une vingtaine d’années sont nombreuses comme en témoigne ce texte .
En présentant le ménage de Rose et de Pierre (l ? – ?) et celui de leurs fils aîné Stéphane (l ?), Jean Fourastié évoque l’évolution des structures familiales et de la démographie. Rose et Pierre ont quatre enfants , Stéphane et Séverine n’en ont qu’un. Durant cette période, en effet, la cellule familiale se rétrécit. Ce phénomène s’accompagne d’une diminution du taux de natalité. Il passe de 20 %° dans les années 46-54 à 17%° dans les années 64-75. Le baby-boom s’achève dès 1965 en France. L’ idéal familial se transforme progressivement. Les ménages ne souhaitent pas avoir beaucoup d’enfants.

Dans le même temps, on observe une modification de la répartition des rôles dans les couples. La mère de Stéphane ,nous dit l’auteur, est « maîtresse de maison », sa femme , elle, exerce une profession salariée (l ? ). On assiste effectivement durant cette période à une augmentation du taux d’activité des femmes. Déjà en 1962, le taux d’activité des femmes d’une vingtaine d’années était de 50%, celui des femmes d’une quarantaine d’années de 40%. Jean Fourastié illustre donc un certain nombre de mutations sociologiques et démographiques caractéristiques des trente glorieuses : une baisse de la natalité et le changement du rôle des femmes dans la société.

Les exemples qu’il choisit permettent aussi d’observer une évolution du niveau de vie. Dans le premier paragraphe déjà , il évoque les possibilités offertes par le pouvoir d’achat de Rose et de Pierre. Environ vingt ans plus tard leur fils et leur belle-fille ont les moyens de vivre dans une maison plus grande. Il est vrai qu’en monnaie constante le revenu s’est accru de 24% entre 1949 et 1954. Il a même doublé entre 1960 et 1978.

Cette hausse du niveau de vie s’accompagne d’une augmentation du niveau d’équipement comme a cherché à le démontrer Jean Fourastié dans son ouvrage. Par exemple, « le ménage de Rose et Pierre n’a , en 1950, ni voiture , ni réfrigérateur, ni machine à laver, son équipement est rudimentaire, une cuisinière à charbon , un fer à repasser électrique, un aspirateur », tandis que "Stéphane et Séverine" ont une 5 CV et la batterie complète de l’équipement ménager. »

Les chiffres confirment ce témoignage . En 1957 , seuls 6.7% des foyers étaient équipés en automobiles contre 65.3 % en 1976. Ils étaient aussi seulement 17.4% à posséder un réfrigérateur contre 90.8% en1976. On voit donc se développer une véritable société de consommation. Cette évolution est ,entre autres, permise par le développement du crédit. Jean Fourastié y fait référence en évoquant les « annuités » payées par Rose et Pierre.

Le logement progresse également. Celui de Pierre et Rose fait 60 mètres carrés de surface , celui de Stéphane et Séverine 80 mètres carrés. Cela peut s’expliquer par la différence des pouvoirs d’achat mais aussi par le développement du bâtiment. Entre 1950 et 1970, la France produit plus de logements que depuis le second empire. Le cas de Stéphane et de Séverine (l ?- ? ) témoigne du fait que ce parc de logement est constitué pour partie d’habitat collectif et pour une autre partie d’habitat individuel Il faut ajouter que dans le même temps, la qualité de ces logements s’améliore. Jean Fourastié semble y faire allusion dans le premier paragraphe.

Le choix du lieu de résidence a des répercutions sur le mode de vie. D’abord , « les lieux de travail de Stéphane et Séverine" sont à 10 et 15 kilomètres des domiciles ». On peut émettre l’hypothèse que comme beaucoup de Français des classes moyennes et modestes, ils vivent dans la périphérie d’une grande agglomération. L’augmentation de la population des banlieues est un fait marquant de l’évolution de la répartition de la population française durant cette vingtaine d’années.

Dans un autre domaine, on constate que le fils de Stéphane et de Séverine a fréquenté les crèches puis l’école primaire. C’est important car au cour de cette période l’Etat et les collectivités territoriales développent les structures d’accueil pour les enfants en bas âge et encourage la scolarisation. Peut–être peut on voir là un aspect du développement de l’Etat–Providence ?

Cet extrait est donc riche d’enseignements sur la société française et son évolution pendant les « trente glorieuses ».

3. Les « trente glorieuses » correspondent à une période de longue croissance, c’est à dire une augmentation durable de la production de biens et de services. Mais cet extrait de l’ouvrage de Jean Fourastié nous invite à penser qu’il s’agit également d’une période de développement et de transformations de la société française.

Il y a développement ,en effet , car le niveau de vie augmente. L’augmentation du pouvoir d’achat s’accompagne de ce que Jean Fourastié qualifie d’un progrès matériel. Dans le même temps, l’Etat-providence multiplie ses prestations destinées à améliorer la vie des français. Les mutations de la société sont nombreuses : La structure de la population active change. Certes, elle se féminise mais en outre elle se tertiarise. Seul peut-être le fait que Pierre soit comptable illustre dans le texte ce phénomène.

L’évolution démographique qui apparaît dans cet extrait va également progressivement avoir des répercussions sur la structure par âge de la population. Enfin, la répartition de cette population change. Elle augmente dans les banlieues, par exemple . D’une manière générale le taux d’urbanisation augmente.

A partir de ce texte, on peut donc également définir les « trente glorieuses» comme une période de mutation de la société française et de développement .Il convient cependant de nuancer ces propos en évoquant l’existence, à la même époque, de profondes inégalités sociales. Certains demeurèrent, malgré tout, à l’écart de la société de consommation. Entre 1950 et 1973, l’écart entre les plus riches et les plus pauvres semble se creuser en France ( Serge Berstein, Pierre Milza) .Cette idée n’est pas développée par Jean Fourastié dans cet extrait.